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L'exception française


Avec près de 30 000 carrefours giratoires, le pays fait figure d’exception dans le monde.

Datant des années 70, cette nécessité fonctionnelle est aujourd’hui un phénomène socioculturel qui métamorphose le paysage urbain.

La France, pays du vin, du pain... et du rond-point. N'en déplaisent à certains, la patrie des droits de l'homme est aussi celle des carrefours giratoires. Mieux, selon Bernard Guichet, expert en la matière et membre du CETE de l'Ouest (Centre d'études techniques de l'équipement, dépendant du ministère des Transports), «La France n'a pour ainsi dire pas de concurrents. Elle en compte approximativement 30 000, contre 15 000 en Australie, 10 000 en Angleterre et 5 000 en Allemagne. »

Dans ce contexte, fort de son statut de chef de file, la France est le terrain privilégié pour qui veut comprendre, apprendre et construire des giratoires. Sa notoriété est même devenue mondiale. L'Hexagone est un véritable trésor recelant pléthore d'études et de plans sur le sujet.

Noisy Le Grand

Cinq fois moins cher qu'un carrefour

L'expérience française date des années 70, le réseau routier ayant été développé durant toute la période des Trente Glorieuses. « Instrument de travail mais aussi de libération », selon Georges Pompidou, cette époque célèbre aussi la vitesse.
En 1972, on compte 18 000 morts sur les routes ! C'est à cette période que l'on découvre la sécurité routière, notamment à cause des carrefours, très accidentogènes, en raison des usagers qui grillaient les stops ou les feux.
Cette même année, en s'inspirant des Anglo-Saxons, les maires sont donc autorisés à instaurer la priorité à l'anneau sur les giratoires de leur commune. Si le ralentissement du trafic n'est pas encore dans les mentalités, les chiffres sont là. « Par rapport à un carrefour classique, le giratoire divise par cinq la mortalité », affirme Jean-Paul Lhuillier.
Ainsi, le décret du 6 septembre 1983 généralisant la priorité à l'anneau dans les carrefours giratoires, connaît un véritable succès !

Pontarlier(25)

Surenchères mégalomaniaques ?

La suppression de la tutelle administrative de l'Etat (loi Deferre du 2 mars 1982) sur les collectivités territoriales, déclenche du même coup une frénésie ornementale des carrefours giratoires, qui perdure encore aujourd'hui. En effet, situés à 80 % dans les villes, en prise directe avec la population, ils constituent une vitrine idéale pour les artistes (et les politiques ?) en manque de considération.
De ce point de vue, le site sens-giratoire.com est très édifiant. Outre les milliers de photos de carrefours décorés, on y voit que les régions Rhône-Alpes, Pays de Loire et Aquitaine sont les plus « roundabout victims ». A l'arrivée, ce sont les contribuables qui financent les éventuelles surenchères mégalomaniaques de certains élus. La décentralisation a aussi apporté son lot de corruption, comme le rappelle Jean Montaldo dans Chirac et les 40 menteurs (chap. 8, p. 173).
Cette nouvelle esthétique est ambivalente, par le simple fait que cet art est second par rapport aux nécessités de circulation. Son intention n'étant pas paysagère, on peut penser avec Augustin Berque, directeur d'Etudes à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) que la modernité conduit « à cette perte d'authenticité des lieux, et, ainsi, à la sérialisation, partout sur la planète, d'espaces de plus en plus banals ».

En effet, le giratoire est par nature si banal, qu'on ne peut s'empêcher de le décorer. Pour autant, l'architecte Eric Alonzo est convaincu qu'une alternative à la construction normalisée des giratoires est possible. Le but étant de faire en sorte qu'ils deviennent, à terme, de véritables « révélateurs du paysage », selon l'expression de Christian Mouzon, ingénieur en chef à la direction de l'Ecologie et des espaces verts de Marseille.

Coutras(33)

Marseilles(13)

Extrait du livre d'Éric Alonzo "Du rond-point au giratoire" (éd. Parenthèses, 2005) au sujet du Surfeur de Gurun

Dans le Morbihan, le rond-point de l'Océan, situé entre Guidel-bourg et Guidel-plage suscite régulièrement des expéditions nocturnes.
En 1997, Marc Le Gurun, un sculpteur local, y a réalisé, dans le cadre d'une commande municipale, un surfeur à tête de cheval à base de pièces métalliques de récupération. Depuis, le sportif mi-robot mi-animal se voit clandestinement revêtu d'habillements régulièrement renouvelés, et parfois même rejoint dans sa solitude insulaire par une colonie de nains de jardins ! Ainsi, le formidable succès du carrefour giratoire s'expliquerait aussi par la possibilité qu'il offre de détourner le standard routier, au profit de l'expression d'une identité locale largement fantasmatique. (...) l'empathie qu'ils manifestent à leur égard permet de voir en eux une des formes d'art populaire les plus prolifiques et les plus significatives d'un territoire urbain en pleine mutation.